CHAPITRE VII
Les étendues désertiques et craquelées de Kessel avaient toujours éveillé l’appétit de Moruth Doole. Contemplant l’immensité par les baies vitrées de son bureau, son œil mécanique se focalisa sur un point lointain.
A la surface de Kessel, blanchâtre et poudreuse, quelques végétaux transplantés d’autres mondes essayaient vainement de survivre. Les colonnes d’air des usines de traitement d’oxygène se perdaient dans le ciel, menant une bataille perdue d’avance contre la faible gravité.
Les radiations invisibles de la Gueule grésillaient au contact des boucliers atmosphériques. La lune-garnison abritant la flotte de défense de Kessel disparaissait à l’horizon.
Doole fit demi-tour et se dirigea vers une alcôve, dans l’ancien bureau du directeur.
C’était l’heure de manger.
Il prit une cage remplie d’insectes énormes et juteux, pressant son visage contre le grillage pour mieux voir. Les insectes avaient une carapace iridescente, des abdomens d’apparence succulente et dix pattes. Ils paniquèrent dès qu’il remua la cage.
Moruth lécha ses grosses lèvres de Rybet.
Ouvrant la porte de la cage, il passa sa tête à l’intérieur. Les insectes, effrayés, volaient autour de ses yeux, de ses oreilles et de ses joues. La langue du Rybet se détendit à plusieurs reprises, comme celle d’un crapaud, pour emprisonner les bestioles et les avaler goulûment.
Leurs pattes lui chatouillaient le palais.
Soupirant de plaisir, Doole en mangea deux autres. Un des insectes vola directement dans sa bouche ; il l’avala d’un coup.
Quelqu’un frappa à la porte et entra avant qu’il ait le temps de répondre. La cage sur la tête, Doole se retourna.
– Je viens faire mon rapport, Moruth, dit Skynxnex.
Le Rybet extirpa son crâne de son garde-manger, puis le referma. Trois insectes parvinrent à s’échapper. Ils heurtèrent de plein fouet les baies de transparacier.
Doole les attraperait plus tard.
– Oui ? Qu’y a-t-il ?
– Nous avons fini de réparer le Faucon Millenium. Toutes ses marques d’identification ont été ôtées, remplacées par un faux numéro d’immatriculation. Nous avons aussi effectué des modifications. Avec votre permission, je l’enverrai à la garnison lunaire, pour qu’il soit incorporé à notre flotte. Les cargos légers ne sont pas les meilleurs navires de guerre, mais avec un bon pilote, ils peuvent faire beaucoup de dégâts. De plus, le Faucon tient plus du vaisseau d’interception que du cargo.
Moruth hocha la tête :
– Bien. Où en est-on avec les générateurs de champ de force ? Je veux qu’ils soient opérationnels le plus vite possible, au cas où la Nouvelle République viendrait chercher Solo.
– Sur la base lunaire, nos ingénieurs pensent pouvoir activer bientôt les circuits. Kessel sera imprenable dans peu de temps.
L’œil valide de Doole s’éclaira d’impatience :
– Yan Solo et son Wookie ont-ils été envoyés aux mines ?
– J’ai fait réserver un transport de personnel blindé, répondit Skynxnex, et je me charge personnellement de la livraison dans l’heure. (Il dégaina son double-blaster.) S’ils tentent de s’échapper, je veux être celui qui les abattra.
Le Rybet rayonna :
– Je suis impatient de les voir pourrir dans les ténèbres. Eh bien, qu’attends-tu ?
Skynxnex quitta la salle en trombe.
Doole sourit en pensant à sa vengeance contre Solo ; pourtant, il était inquiet.
Si la Nouvelle République lui avait d’abord semblé lointaine et insignifiante, après avoir sondé les pensées de son prisonnier, il connaissait l’importance de la puissance de feu susceptible d’être dirigée contre lui.
Il n’avait plus redouté pareil désastre depuis qu’il avait renversé les seigneurs esclavagistes de Kessel.
Au temps de l’ancien régime, tout avait été si simple, en comparaison ! En faisant chanter les gardiens de prison ou en les corrompant avec des pots-de-vin, Doole était parvenu à de jolis résultats en matière de contrebande, tout ça au nez et à la barbe des Impériaux. Il vendait aux plus offrants les codes d’accès du bouclier énergétique de Kessel ; il organisait de petites opérations minières illégales sur d’autres secteurs de la planète. Les entrepreneurs exploitaient leur nouveau filon, avant de vendre la production à Doole sous le sceau du secret. Une fois les veines taries, Doole, en tant qu’officier pénitentiaire « intègre », « découvrait » les opérations illicites et en informait son contact impérial. Quand les commandos fondaient sur les mines illégales, les séides de Doole s’assuraient qu’aucun coupable de haut rang ne survivait pour pointer un doigt accusateur sur lui… Les laquais de moindre importance étaient envoyés au fond des mines, avec les autres esclaves. Doole gagnait sur tous les tableaux.
Durant la révolte, il avait dressé ses meilleurs couteaux contre ses ennemis encore prisonniers, les incitant allègrement à s’entre-tuer. Sur les ruines fumantes du complexe, Moruth Doole s’était ensuite emparé du pouvoir, Skynxnex devenant son bras droit.
Doole avait capturé le directeur de la prison, l’envoyant s’échiner dans les mines jusqu’à ce qu’il fût brisé. Par pur amusement, il lui avait injecté des larves dans le corps. A mesure qu’elles grandissaient et lui dévoraient les entrailles, le malheureux était passé par des convulsions spectaculaires. Durant une de ses crises, Doole l’avait enchâssé dans de la carbonite à l’aide de l’équipement naguère prévu pour le transport de détenus violents et dangereux.
Ce souvenir lui remontait toujours le moral.
Muni de sa belle cravate jaune, il frotta ses paumes contre ses côtes et sortit parader d’importance. Il accéda à l’aile réservée, dont lui seul avait le code d’accès. Il sentit les phéromones.
Dans la cellule, les femelles rybets captives se pelotonnaient dans les coins, s’efforçant de se fondre dans les ombres. La cravate jaune semblait luire dans la pénombre ambiante.
Seul sur Kessel depuis de nombreuses années, Moruth Doole avait souffert d’une frustration galopante. A présent qu’il avait tenait la planète, il pouvait se permettre de faire venir des esclaves rybets par centaines. Toutes les femelles ne se montraient pas très coopératives. Mais après des lustres d’expérience au sein du complexe carcéral, Doole savait comment traiter les récalcitrantes.
Maintenant, il avait l’embarras du choix… Un sourire concupiscent sur les lèvres, il fit le tour des cellules.
Le paysage de Kessel défilait sous le transport blindé. Yan apercevait une bande de désert par les meurtrières du compartiment réservé aux prisonniers. Chewie et lui étaient ligotés à leur siège, dans des carcans reliés à des électrodes qui leur enverraient une décharge assez forte pour les assommer s’ils tentaient de se libérer. Chewbacca avait beaucoup de difficulté à se tenir tranquille.
Skynxnex pilotait le transport, s’éloignant des bâtiments du centre d’incarcération impérial. Dans le siège du copilote, un garde armé tenait les captifs en joue avec un fusil-blaster.
– Hé, s’écria Solo, pourquoi ne pas nous offrir une visite guidée, Skynxnex ?
– La ferme, Solo !
– Pourquoi ? J’ai payé plein tarif !
Le mercenaire appuya sur un bouton ; le Corellien et le Wookie reçurent une décharge électrique.
– Tu n’auras pas de pourboire, Skynxnex.
L’épouvantail contourna un énorme puits qui s’enfonçait profondément dans le sol. Des armatures rouillées et des structures de soutien en jaillissaient comme des doigts squelettiques. Il fallut à Yan un moment pour reconnaître un conduit creusé pour les gigantesques usines à oxygène. Après récupération des gaz utiles à la survie, les puits servaient d’accès aux tunnels des mines d’épices.
Skynxnex atterrit sur les rocs, puis il passa un masque de survie. Il en tendit un autre au garde.
– Et nous ? demanda Solo.
– Vous ne resterez pas longtemps dehors, dit le mercenaire. Un peu d’air raréfié vous fera du bien.
Pressant un bouton sur la console de commande, Skynxnex libéra les deux prisonniers. Yan étira ses bras endoloris. Instantanément, le garde le mit en joue et l’épouvantail dégaina son blaster.
Solo se figea :
– Hé, je m’étirais, c’est tout ! Du calme !
Quand Skynxnex ouvrit la porte, Yan sentit le changement de pression. L’air ambiant fut aussitôt aspiré par l’atmosphère raréfiée.
Solo sentit qu’on volait tout son oxygène à ses poumons. D’instinct, il prit une grande inspiration. En pure perte. Chewbacca et lui sortirent du véhicule, poussés par leurs geôliers.
Au bord du cratère, un monte-charge grillagé plongeait dans le puits. Incapable de respirer convenablement, le Corellien essayait de se presser. Une fois dans l’ascenseur, alors qu’il avait l’impression d’étouffer, des taches noires apparurent dans son champ de vision. Quand il réussit à inspirer l’air de Kessel, sa froideur tortura sa cage thoracique.
– Il y a quelques années, expliqua Skynxnex, les usines à oxygène fonctionnaient à plein régime. Doole a estimé ces dépenses d’énergie inutiles.
Le garde ferma la porte de l’ascenseur pendant que l’épouvantail actionnait les commandes.
La cage descendit à vive allure jusqu’à ce que le ciel devienne une tache de lumière au-dessus de leurs têtes.
Chewie et Yan aperçurent les portes d’acier qui fermaient les galeries. A chaque niveau, un cercle de lumière éclairait le puits, mais la plupart de ces dispositifs ne fonctionnaient plus.
Chewbacca se tenait aux barres de l’ascenseur, cherchant de l’air. Sa langue rose pointait ; elle prit une teinte violacée à cause du manque d’oxygène. Frissonnant et étourdi, Yan s’assit par terre.
Quand l’ascenseur s’arrêta, Solo percuta le métal à cause de la secousse. Jetant un coup d’œil sous lui, à travers le grillage, il vit que le puits plongeait plus profondément encore.
– Debout ! ordonna Skynxnex, lui flanquant un coup de pied. Ce n’est pas l’heure de dormir. Allez, tu auras de l’air frais à l’intérieur !
Aidé par le mercenaire, le Corellien parvint à se redresser. L’autre garde eut plus de difficultés avec Chewbacca.
Après être sortis de l’ascenseur, ils se trouvèrent devant une grande porte en acier que Skynxnex ouvrit.
Alors ils entrèrent dans une pièce carrelée servant de sas.
Yan n’y voyait presque plus. Ses oreilles bourdonnaient. Sa vue était un mélange de taches noires et d’ombres signalant grossièrement ce qui l’entourait. Dès que Skynxnex referma la porte, de l’oxygène emplit la pièce en sifflant.
Avant que les captifs puissent reprendre leur souffle, le garde enfonça le canon de son fusil sous la gorge de Chewbacca : l’épouvantail fit de même avec Solo.
– Nous sommes presque arrivés. Inutile de jouer aux héros !
Ravi de pouvoir à nouveau respirer, Yan n’avait pas la moindre intention de fuir.
Du moins, pas encore.
De l’autre côté du sas se dressait une grande salle commune, remplie d’ouvriers léthargiques « prêts » à prendre leur service. Le dortoir avait été creusé à même le roc ; une série de couchettes s’alignait le long d’une paroi. Un réfectoire, composé de longues tables pour l’instant vides, occupait le centre de la pièce.
Des caméras surveillaient la salle. Portant des tenues en partie composées d’uniformes de soldats impériaux, des gardes surveillaient les ouvriers. Tous paraissaient pâles et fatigués, comme s’ils avaient vécu sous terre, mal nourris, pendant des années.
Un gros homme avança pour les « accueillir ». Il ne quittait pas Skynxnex des yeux.
– Tu m’en amènes deux autres ? fit-il. Seulement deux ? Ça ne suffit pas.
Il voulut saisir Chewbacca par le bras. Le Wookie gronda ; l’homme s’en ficha.
– Ouais, le Wookie vaut bien trois types, mais j’ignore la valeur de celui-là. De toute façon, ça ne remplace pas la moitié des hommes que j’ai perdus.
Skynxnex le foudroya du regard :
– Alors, cesse de gaspiller tes ouvriers, dit-il d’une voix glaciale avant de se tourner vers Solo. C’est Boss Roke. Il est là pour vous briser. Moruth Doole lui versera une prime s’il vous rend la vie impossible.
– Apparemment, il n’est pas très doué pour veiller sur ses ouvriers, fit remarquer Yan.
Roke le fixa d’un œil mauvais :
– Quelque chose attaque mes hommes dans les tunnels les plus profonds. J’en ai perdu deux autres hier. Ils disparaissent sans laisser de trace… Même leurs localisateurs ne fonctionnent plus.
Le Corellien haussa les épaules :
– Il est difficile de trouver du bon personnel de nos jours.
Dégainant son double-blaster qu’il colla contre la tempe de Solo, Skynxnex s’adressa à Boss Roke.
– Va chercher des tenues thermiques pour ces deux comiques. Nous les surveillerons le temps qu’ils enfilent leur nouvel uniforme.
Roke claqua des doigts ; deux gardes fouillèrent un placard.
– Ce ne sera pas difficile pour l’humain, dit-il, mais le Wookie… Nous n’avons rien à sa taille.
Un garde trouva un uniforme ayant appartenu à une créature dotée de trois bras. Une fois le troisième cousu, elle allait à Chewbacca. La manche vide et le gant pendaient sur sa poitrine.
Placée entre les deux omoplates, une unité calorifique alimentait le scaphandre pour le préserver des tunnels glacés de Kessel. Yan fut soulagé de voir qu’un masque à oxygène était fourni avec la tenue.
Skynxnex reprit la direction de l’ascenseur. Son compagnon l’attendait dans le sas :
Une dernière fois, comme s’il croyait ne pas avoir émis assez de menaces pour la journée, il pointa son arme sur Solo.
– Bientôt, Moruth me laissera peut-être l’utiliser…
– Seulement si tu ranges ta chambre, et si tu manges tes légumes, railla Yan.
– Service alpha, au travail ! aboya Boss Roke.
Aussitôt, une dizaine d’ouvriers prirent leur place sur des carrés dessinés à même le sol.
Roke désigna les deux carrés restant :
– Vous deux, positions 18 et 19. Exécution !
– Comment ? Et l’orientation des nouveaux employés ? demanda Solo.
Un sourire sadique aux lèvres, Boss Roke le poussa vers les carrés :
– Ici, on pratique la formation sur le tas !
Au signal du contremaître, les ouvriers ajustèrent leur masque. Yan et Chewbacca firent de même.
A l’autre bout de la salle, une grande porte de métal s’ouvrit sur une caverne de plus de cent mètres de long, dans laquelle flottait un train de mine.
Un sifflement jaillit de haut-parleurs invisibles ; les ouvriers montèrent dans les wagonnets.
Chewbacca grogna une question. Solo regarda autour de lui :
– Je n’en sais pas plus que toi, mon vieux.
Skynxnex parti, il n’était plus obligé de préserver les apparences. La peur le faisait trembler de tous ses membres.
Boss Roke s’installa dans le wagonnet de tête ; les autres gardes étaient répartis le long du train. Etrangement, tous portaient des lentilles infrarouges.
Derrière les ouvriers immobiles, la porte se referma. Tout le monde semblait attendre quelque chose.
– Que se passe-t-il ? demanda Solo.
Les lumières s’éteignirent. Yan et Chewbacca furent plongés dans une obscurité suffocante.
– Que diable… ?
Solo inspira profondément. Les ténèbres étaient presque palpables. Il n’y voyait goutte.
Près de lui, Chewie émit un grognement inquiet. Il tendit l’oreille, tandis que son imagination tentait de reconstituer ce qui se passait dans l’obscurité.
Il entendit un bruit métallique.
– Tiens-toi, Chewie, dit-il à son compagnon.
Une porte de métal s’ouvrit à l’autre extrémité de la galerie. Ils sentirent que l’air était aspiré par les tunnels de Kessel.
Pris de panique, le Corellien ajusta un peu plus son masque à oxygène sur son nez.
Les wagonnets prirent de la vitesse. L’accélération plaqua rapidement Solo sur son siège. Il entendit le ronflement de l’air qui rabattait ses oreilles et se tint à la rambarde du véhicule pour ne pas être éjecté dans un virage.
C’est alors qu’il se souvint que les épices de Kessel était photosensibles – elles se chargeaient d’énergie en présence de lumière –, donc, elles devaient être extraites dans l’obscurité totale.
L’obscurité totale.
Yan et Chewbacca passeraient le reste de leur vie à accomplir des travaux forcés sans rien voir, ni ce qu’ils faisaient, ni où ils se trouvaient.
Un frisson parcourut la colonne vertébrale du Corellien.
Boss Roke avait dit qu’une créature inconnue, dans les tunnels les plus profonds, s’attaquait aux mineurs. Comment échapper à un assaillant carnivore dans les ténèbres ?
Il comprenait maintenant pourquoi les gardes portaient des lentilles infrarouges.
Soudain, Solo entendit une respiration rapide ponctuée de bruits indescriptibles.
– Toi, là-bas ! s’écria un garde. Le numéro quatorze ! Assieds-toi ! Il est interdit de changer de wagonnet !
C’était donc un ouvrier ? pensa Yan.
Quelqu’un s’installa derrière lui et Chewbacca.
– Hé, je t’ai dit de t’asseoir ! reprit le garde.
– Je suis à ma nouvelle place, dit une voix.
– Tu es à ta nouvelle place, répéta le gardien.
Puis plus rien.
Yan se força à ne pas parler. Puisqu’il ne voyait rien, l’intrus ne savait probablement pas qui il côtoyait. A moins qu’il ne soit équipé de lentilles infrarouges lui aussi ? Skynxnex ou Moruth Doole avaient-ils engagé un assassin pour se débarrasser d’eux ?
Il entendit la respiration sifflante de quelqu’un qui parlait à travers un masque.
– Vous venez vraiment de l’extérieur ? dit la voix désincarnée. Je n’ai plus vu le jour depuis des années.
Le ton était plein d’espoir. A cause du masque, Yan ne parvenait pas à déterminer si c’était la voix d’un homme âgé, d’une femme ou d’un ancien soldat impérial.
Dans son esprit, il se représenta son interlocuteur comme un vieillard squelettique à la chevelure longue et blanche.
– Oui, nous venons de là-haut. Les choses ont bien changé.
– Je m’appelle Kyp Durron.
Après un moment d’hésitation, Yan se présenta, ainsi que Chewbacca. Soupçonnant un piège, il décida de ne pas donner trop d’informations. Kyp Durron parut le deviner ; il parla de lui sans trop poser de questions.
– Vous finirez par connaître tout le monde ici. Moi, j’ai vécu la majeure partie de ma vie sur Kessel. Mes parents étaient des prisonniers politiques, exilés sur cette planète quand l’Empereur a détruit l’Ancienne République. Mon frère Zeth est parti pour l’Académie Impériale, sur Carida. Nous n’avons plus jamais eu de nouvelles de lui. Je me suis retrouvé dans les mines il y a quelques années.
– Comment cela s’est-il passé ?
– Pendant la mutinerie, ils se moquaient de qui ils envoyaient aux mines. A présent, la plupart des ouvriers sont les anciens geôliers. Personne n’a songé à me faire sortir d’ici. Je n’étais pas assez important. (Kyp émit un bruit qui ressemblait à un rire amer.) On dit que j’ai de la chance, mais elle n’a jamais suffi à me garantir une vie normale.
Il marqua une pause, comme s’il rassemblait de l’énergie.
Yan aurait voulu voir le visage de l’étranger.
– Est-il vrai que l’Empire a été renversé ?
– Oui, il y a sept ans, Kyp. L’Empereur fut tué dans l’explosion de l’Etoile Noire. Nous continuons la lutte, mais la Nouvelle République essaie de tout réorganiser. Chewie et moi sommes venus rétablir le contact avec Kessel. (Il marqua une pause.) Apparemment, le peuple n’était pas intéressé.
Yan tourna la tête vers l’avant ; il avait entendu quelque chose. Le wagonnet précédant venait de se détacher.
– Ils séparent les équipes de mineurs, expliqua Kyp. Je voulais rester avec vous. Racontez-moi tout.
Solo soupira :
– Kyp, je crois que nous aurons amplement le temps de te donner les détails.
Enfin, leur groupe de wagonnets ralentit.
– Tout le monde dehors ! Reliez-vous. Marchez jusqu’à la zone de travail.
Les prisonniers descendirent en silence. Leur équipement cliquetait dans les ténèbres ; leurs bottes frottaient la poussière. Un pandémonium de petits bruits résonna dans le tunnel, rendant l’obscurité plus oppressante encore.
– Où allons-nous ? demanda Yan.
Kyp attrapa un passant de ceinture de Solo :
– Tiens-toi à la personne qui marche devant toi. Se perdre dans ces cavernes n’est pas une bonne idée.
– Je te crois.
Chewbacca grogna un acquiescement.
Une fois les mineurs en colonne, on leur ordonna d’avancer. Yan marchait à petits pas pour ne pas trébucher, mais il heurta souvent le Wookie.
Au bruit, il comprit qu’ils avaient changé de caverne. Le Corellien entendit un son sourd, suivi d’un cri de douleur de Chewbacca.
– Attention à la tête, mon gars, dit-il.
– Voilà la rambarde ! cria le garde. Arrêtez-vous, prenez votre temps, et descendez.
– Qu’est-ce qu’une rambarde ? demanda Solo.
– Quand tu la toucheras, tu le sauras, répondit Durron.
Les bruits n’avaient aucun sens pour l’ancien contrebandier. Il ne parvenait pas à comprendre ce qui se passait autour de lui, mais il discernait des bruissements de tissu, des cris de surprise ou de peur. Chewbacca protesta vivement.
Le garde le frappa avec quelque chose de dur. Le Wookie hurla de douleur et voulut attaquer son tortionnaire, mais il percuta le mur. Il paniqua, frappant au hasard.
Yan dut plonger pour éviter ses poings :
– Chewie ! Arrête ! Calme-toi !
Le Wookie se maîtrisa tant bien que mal.
– Obéissez ! ordonna le garde.
– Ne vous en faites pas, ajouta Kyp pour les encourager, c’est la routine quotidienne.
– Je descends le premier, Chewie, annonça Solo.
Il se pencha, tendit les mains et repéra une ouverture donnant sur un autre niveau de tunnels. Ses doigts rencontrèrent une barre d’acier glacée.
– Tu veux que je descende en glissant ? s’étonna-t-il. Où cela mène-t-il ?
– Ne t’inquiète pas, répéta Durron. C’est le moyen le plus pratique.
– Tu plaisantes !
Chewbacca s’esclaffa. Cela suffit à Yan pour prendre une décision. Les jambes enroulées autour de la barre de métal, il s’agrippa avec les mains. Le tissu lisse de l’uniforme thermique le fit aussitôt glisser le long de la perche. Il prit de la vitesse. Yan imagina des stalactites acérés prêts à l’empaler. Il continua d’accélérer.
– Je n’aime pas ça ! gémit-il.
Soudain, la barre disparut. Il tomba sur un tas de sable poudreux. Deux ouvriers se précipitèrent pour l’aider à se relever. Solo s’épousseta machinalement.
Un instant plus tard, Chewbacca le rejoignit avec un long ululement, suivi de Kyp Durron et du garde.
– Mettez-vous en rang !
Chewbacca grommela.
Yan renâcla :
– Ne me dis pas que tu as trouvé ça amusant !
Le garde marchait devant. Soudain, Yan pataugea dans une flaque d’eau. Aveugles, les captifs avançaient en silence.
L’eau croupie avait une odeur nauséabonde ; le Corellien sentit son estomac sur le point de se rebeller. Chewbacca gémit, sans émettre de commentaire.
Dans l’étang, quelque chose de mou frôla la jambe de Solo. Il sentit d’autres contacts contre ses mollets et ses cuisses.
– Hé !
Il flanqua des coups de pied dans le vide. Les choses invisibles s’amassèrent autour de ses jambes. Solo pensa à de petits poissons aux dents effilées. Il s’agita encore pour les chasser.
– N’attire pas leur attention, expliqua Kyp Durron à voix basse. Ils viendront plus nombreux.
Yan se maîtrisa et marcha d’un pas plus lent. Aucun autre prisonnier ne poussa de cri ; apparemment, personne n’avait été dévoré.
Il était si las qu’il se serait volontiers assis lorsqu’ils atteignirent l’autre rive du lac souterrain. Derrière eux, les clapotis résonnaient dans la caverne.
Bien plus tard, ils atteignirent le site d’extraction. Le garde sortit un appareil de son sac, qu’il posa contre une paroi.
– Il faut descendre en profondeur pour atteindre de bons dépôts, dit Kyp. Ici, les épices sont riches et fibreuses, alors que dans les niveaux supérieurs, elles sont vieilles et poudreuses. Les veines se croisent sur les parois du tunnel ; elles descendent rarement au-dessous de la surface de la roche.
Avant que Yan puisse poser une question, un bourdonnement aigu retentit dans la caverne. Chewbacca rugit de douleur. Une couche de roche s’effrita. Le garde avait usé d’un disrupteur acoustique pour creuser la paroi sur quelques centimètres.
– Au travail ! ordonna-t-il.
S’agenouillant, Kyp montra tant bien que mal à Solo et à Chewbacca comment trier les pierres et dégager le gisement, qui ressemblait à un ensemble de filaments de laine de verre.
Les mains glacées de Solo le faisaient souffrir ; les autres forçats ne se plaignaient pas ; tous semblaient abattus. Il les entendait respirer et travailler.
Le Corellien rangea les filaments d’épices dans la sacoche pendue à sa ceinture.
Quand l’équipe eut terminé de trier les débris, le garde lui fit signe de s’enfoncer un peu plus dans le tunnel, puis il activa à nouveau son disrupteur acoustique pour forer un autre pan de caverne.
Ramassant les épices, Solo ne pensait qu’à ses genoux douloureux, qu’à ses doigts qui le brûlaient. Qu’il serait bon de revoir Leia !… Personne ne lui avait dit combien durait une journée de travail… De toute manière, il ignorait comment il aurait pu mesurer le temps dans l’obscurité.
Il avait faim.
Il avait soif.
Il travaillait.
Pendant une pause, Yan sentit les poils de sa nuque se hérisser. Il se tourna d’instinct, même s’il ne voyait rien dans les ténèbres. Ses oreilles, devenues un outil vital, détectèrent un lointain bruissement : un millier de murmures qui approchaient.
Il crut déceler une lueur perlée.
– Qu’est-ce que… ?
– Chut ! répondit Durron.
Les ouvriers suspendirent leurs gestes. Tel un essaim de vers luisants, un faible halo traversa la grotte en bourdonnant.
Tous plongèrent pour l’éviter.
Le phénomène disparut dans la paroi. De petits éclairs bleuâtres apparurent là où les épices avaient été activées par la lumière.
Puis plus rien.
– Qu’est-ce que c’était ? demanda Yan.
Il entendit Kyp souffler près de lui :
– Personne ne le sait. C’est le quinzième que je vois depuis que je suis ici. On les appelle des fantômes. Ils n’ont jamais fait de mal à personne… Du moins, on le suppose. Après tout, j’ignore ce qui est arrivé aux disparus.
Même le garde paraissait secoué ; Solo entendit des tremblements dans sa voix :
– Ça suffit pour aujourd’hui. Fin du travail. Retournons aux wagonnets.
Pour Yan, c’était la meilleure idée de la journée.
Quand le train revint dans la salle de départ, Yan entendit que les gardes dégainaient leurs armes. On ordonna aux ouvriers d’ôter leur tenue thermique. Solo comprenait aisément cette précaution : « chargé » d’épices, un mineur pourrait avoir l’esprit assez clair pour préparer une évasion…
Quand l’éclairage revint, la lumière blessa les yeux de Solo. Il sentit une main le saisir par le bras pour l’entraîner vers la salle commune.
– Ne t’en fais pas, Yan. Suis-moi. Laisse tes yeux s’accoutumer. Tu as tout le temps.
Solo était pressé de voir à quoi ressemblait Kyp Durron. Il refoula ses larmes et força ses pupilles à se contracter. Quand il vit Kyp, il cligna des yeux de surprise.
– Tu n’es qu’un gamin !
Durron était un jeune garçon ébouriffé. Il avait de grands yeux entourés de cernes sombres, et la peau blanche à force de vivre dans l’obscurité. Il était mince et musclé.
Intimidé, il fixa Yan, plein d’espoir.
– Ne t’en fais pas… Je fais de mon mieux.
Kyp lui rappelait le jeune Luke Skywalker, rencontré la première fois dans la Cantina de Mos Esley. Kyp semblait plus mature. Grandir sur Kessel, dans les mines, sans personne pour veiller sur lui… Que le gamin soit solide ne l’étonnait guère.
Pour l’heure, Yan ne parvenait pas à décider qui il détestait le plus : l’Empire, pour avoir persécuté la famille de Kyp, ou Moruth Doole, qui avait pris la relève… Ou lui, pour s’être laissé piéger avec Chewie.